Jour 43 – Les toits de Beaune

Jeudi matin je me réveille chez Muriel, à Corcelles-les-Arts. Nous nous délectons pour le petit-déjeuner du cadeau de Cyrille : il a préparé une grosse douzaine de crêpes pour mon hôtesse du jour.

La veille Muriel avait cuisiné un repas exquis, arrosé d’un excellent Beaujolais. Elle connaît à la perfection les vignes de la région et les faisait visiter aux voyageurs avant un accident de santé, l’hiver dernier. Il y a quelque chose de touchant dans l’accueil de Muriel : elle a revêtu une jolie parure de bijoux, passé une bonne partie de l’après-midi à cuisiner pour moi. Elle m’avoue que depuis ses soucis de santé elle n’avait encore reçu personne ici.

L’après-midi, après un arrêt à Meursault – célèbre pour avoir accueilli le tournage de la Grande Vadrouille – elle me propose une visite de Beaune. L’endroit est truffée de caves à vin et de restaurants étoilés. Une statue de Bruno Catalano, l’un de mes artistes contemporains favoris, trône sur l’une des places principales. Mais ce sont ses toits qui me surprennent. Des motifs bariolés composés de tuiles vernissées constellent le ciel de la ville. L’édifice le plus remarquable est sans conteste l’Hôtel-Dieu. Une vente aux enchères se tient ici chaque année. Des bouteilles de prestige, produites sur les terres des hospices de Beaune, y sont achetées à prix d’or par de riches amateurs. Le bénéfice permet de faire tourner l’hôpital de la ville, ainsi que deux structures pour personnes âgées.

Jour 27 – Autocritique dans un palais

Voilà un mois que je suis parti. Je m’accorde une journée pour faire un peu le point en allant dormir chez une amie, à Lyon.

Avec vingt-sept articles en trente jours, je parviens à peu près à garder le rythme de l’article quotidien que je m’étais imposé. Malgré cela, sur le fond, une chose m’ennuie : si les vidéos que je réalise retranscrivent les paysages que je vois et les aventures que je vis, j’ai le sentiment que je n’arrive pas tout à fait à rendre compte de la richesse humaine de mes expériences. J’ai des journées chargées : je dois tourner, monter et mettre en ligne mes vidéos, gérer la logistique et me trouver un toit tous les soirs. Mais avant tout, mes journées sont faites de discussions passionnantes avec mes hôtes. Avec certains nous refaisons le monde ; d’autres préfèrent me parler de leur vie personnelle. Aucune conversation n’est banale, et surtout, aucune n’est semblable. C’est cela que je ne parviendrai jamais à retranscrire. C’est pourtant ce qu’il y a de plus précieux dans mon voyage.

À Lyon nous partons manger dans un bouchon, restaurant déclinant les grands classiques de la gastronomie lyonnaise : saucisson chaud à la sauce beaujolais, quenelle de brochet et tarte à la praline. Puis nous partons à une heure de là, à Hauterives. C’est ici que le facteur Cheval, en butant sur une pierre à l’âge de 43 ans, s’est souvenu d’un vieux rêve et a commencé à bâtir un palais. Une merveille d’art brut qu’il mit 33 ans à achever, seul. Les formes irréelles de sa façade, ses murs parsemés de sculptures improbables et ses escaliers qui ne donnent sur rien ont inspiré Dali et Picasso. À la sortie, une sculpture en anamorphose de Bernard Pras rend hommage au facteur autodidacte.

Jour 4 – Petit manuel de street art en rase campagne

Samedi, fin d’après-midi. Je prends congé de Camille et quitte Pau en direction du nord. Pour le moment, mon voyage se déroule sans trop d’accrocs : je parviens à maintenir une visibilité de deux jours sur les endroits où je vais dormir. Je trouve mes hôtes sur le site CouchSurfing, et peux parfois me payer le luxe de choisir les profils les plus atypiques.

Aujourd’hui j’avais entrevu la possibilité d’aller passer la journée dans une communauté de méditation, dans le Gers. Mais la fille a semblé prendre peur quand je lui ai parlé de Youtube et de ma caméra. Sans nouvelles d’elle, je décide de garder le cap gersois et de séjourner à Eauze, chez Marie.

Pour le moment je transite en solitaire. Malgré des annonces quotidiennes de covoiturage, je ne parviens pas à trouver des personnes intéressées pour prendre place sur le siège passager de ma Twingo noire. Peut-être mes trajets sont-ils trop courts pour être partagés.

Je suis accueilli par l’odeur réconfortante du repas qui mijote sur le feu. Marie me salue avec un mélange de timidité et de bienveillance, puis me fait visiter sa maison. D’emblée, je suis sous le charme : sur les murs de pièces volumineuses et biscornues sont dessinés au pinceau des motifs improvisés. Une vraie maison d’artiste. Attenant à la cuisine, un petit atelier offre une idée des créations de Marie. Sculptures, peintures, collages s’y entremêlent avec harmonie. Marie se rend ici tous les jours, une fois terminée sa journée dans son cabinet de psychothérapie.

Le repas est végétarien : un plat de blettes et de brocolis relevé à l’aide de gingembre, délicieux. Avant cela, j’avais délivré à Marie le cadeau que Camille lui destinait : des caramels ramenés d’Argentine, qui seront ouverts pour le dessert. Nous passons ensuite une bonne partie de la soirée à parler de son métier, et à refaire le monde.

Eauze compte 3881 habitants. Ce n’est pas à proprement parler un terrain propice au street art. Pourtant, Marie a réservé le pan de mur donnant sur la ruelle à ses invités. En repartant de chez elle, ils sont conviés à y laisser une trace, sous forme d’une affiche collée là. Je ne suis pas manuel, je ne sais pas dessiner. Je décide donc d’y laisser des mots qui m’avaient touchés, postés par une amie le soir des attentats. Tracés maladroitement sur une feuille de papier déjà jaunie par la colle, ils seront sans doute lavés par la prochaine pluie. Les souvenirs, eux, ne s’effaceront pas.