“J’ai terminé mon périple en allant voir mes amis en région bordelaise. Aujourd’hui mon aventure se termine ; je retourne où elle avait commencé, la boucle est bouclée.”
“J’ai terminé mon périple en allant voir mes amis en région bordelaise. Aujourd’hui mon aventure se termine ; je retourne où elle avait commencé, la boucle est bouclée.”
“Mais Pierre et Anne-Valérie vont carrément me transporter vers un autre univers. Des bulles géantes, posées au milieu de la forêt.”
Au début de mon voyage j’avais dans l’idée de laisser le hasard faire les choses, et de choisir les endroits où je passe mes nuits au gré de mes rencontres. J’avais néanmoins trois objectifs, trois endroits où je désirais me rendre. Le premier c’est le Palais Idéal du Facteur Cheval, dont je trouve l’histoire fascinante et terriblement romanesque. Les deux autres, je désirais y aller pour des raisons bien différentes. La Jungle de Calais et Notre-Dame-des-Landes sont des lieux dont tout le monde parle mais que personne ne connaît. Montrés du doigt pour illustrer une certaine défaillance de l’état, une certaine idée de la France qui part à vau-l’eau. Alors je voulais me faire mon avis, voir de mes propres yeux ce qu’il se tramait là-bas.
Nantes m’a servi de base pour organiser ma venue à Notre-Dame-des-Landes. J’ai pu m’y reposer un peu chez mon amie Élise, que je n’avais pas vue depuis des lustres et qui m’a présenté sa famille. C’est un autre aspect agréable de cette aventure, de retrouver de vieux amis et de sentir que rien n’a changé.
Sur les conseils avisés de Morgan, j’ai commencé par me rendre à Saint-Jean-du-Tertre pour me présenter et exposer mon projet. La route traverse de jolis paysages assez bucoliques, jusqu’à un point où elle est obstruée par des barricades marquant l’entrée de la ZAD (Zone À Défendre). Rien de franchement rassurant.
La ZAD est organisée en une bonne douzaine de collectifs ; Saint-Jean-du-Tertre est l’un d’entre eux. Il n’y a pas grand monde de disponible, la fille à l’accueil m’explique que la plupart du collectif est occupé à préparer la manifestation du lendemain, contre la loi El Khomri à Nantes.
Les choses sont difficiles à appréhender, ici. La fille essaye de m’expliquer les liens entre les différents collectifs mais l’organisation semble assez tentaculaire. Elle m’offre un ZAD-News, journal hebdomadaire qui relate les dernières nouvelles de la zone et sert à fédérer les collectifs. Première surprise : dans l’agenda de la semaine, au milieu d’assemblées générales et d’activités agricoles (introduction à la permaculture), se cachent des choses plus improbables, comme la répétition de la chorale de Notre-Dame-des-Landes.
La fille me conseille de me rendre le lendemain à la ferme de Bellevue. Là, les membres du collectif ne seront pas à la manif, et un dortoir est prévu pour accueillir les visiteurs de passage. Je prends la petite carte de la zone qu’elle me tend et la remercie. En rentrant à Nantes, je croise le bus servant à émettre Radio Klaxon, la radio de la ZAD. Tout ce microcosme semble très bien organisé.
Le lendemain j’arrive à Bellevue comme convenu. De petits groupes s’affairent, qui à la traite, qui au jardin. Deux garçons discutent dans un petit salon et m’invitent à m’asseoir à côté d’eux. Cédric attend sa copine qui prend sa douche, et me convie après deux minutes de discussion à dormir à Chat-Teigne, son collectif.
Pour lui, la politique est secondaire ; il est avant tout venu ici pour vivre en communauté, dans la nature. Il m’explique qu’à la ZAD, la lutte contre l’aéroport est certes importante, mais que l’objectif premier est désormais de montrer qu’une autre forme de société est possible. Cédric n’a aucun revenu, ne dépense presque rien, mais partira tout de même durant l’été pour travailler à Ibiza, avant de revenir à l’automne.
Après le retour de sa copine Irene, une jolie espagnole d’une vingtaine d’années, on part rejoindre le camp situé à une dizaine de minutes de marche. On traverse trois champs, au milieu des vaches et des oiseaux. Les piaillements sont omniprésents, et l’on comprend aisément l’intérêt écologique du lieu. On comprend également qu’à partir de l’automne, le même chemin sera cerné par la boue : tout du long, de petits pontons ont été érigés pour rester au maximum les pieds au sec. Cédric me confirme qu’il y a encore quinze jours, on s’enfonçait jusqu’au genou en certains endroits.
On arrive au camp, formé de deux groupements de cabanes de bois. Le premier est constitué des locaux communs, cuisine et petit bar, ainsi que de quelques chambres.
Dans le second on trouve le logement de Cédric et Irene, où je dormirai ce soir, et celui de leurs amis espagnols. Si le premier est plutôt propre et bien aménagé, celui des espagnols est noyé dans la crasse. Pas grand chose ici pour casser le cliché du punk à chien véhiculé par les medias.
Un départ est prévu au Super U le plus proche, pour faire la récup. Par récup, comprendre récupérer les invendus dans les poubelles du supermarché. On prend le camion des Espagnols, et pendant qu’ils commencent leur collecte je passe par l’entrée des clients leur offrir un pack de bières. Le contraste est assez saisissant entre l’univers aseptisé du grand magasin, les costumes fuchsia des vendeuses, et l’intérieur du camion qui sentait le chien mouillé.
Je rejoins ensuite mes nouveaux amis à l’arrière du supermarché. Ils déballent soigneusement les emballages, regardent les dates de péremption des aliments. Un cri de joie accompagne chaque trouvaille, ici quatre tranches de saumon, là une jolie mousse de fruits pour huit personnes. Au total plusieurs kilos de nourriture ; on embarque même un bouquet de fleurs qui traînait là.
Après cela, il faut faire le plein. Ça va être mon bizutage. Les zadistes se méfient des journalistes, et même s’ils semblaient faire confiance à ma bonne mine jusque là, il va me falloir faire mes preuves. On me donne un bidon vide, je dois aller quémander un peu d’essence à chaque personne qui fait son plein. Les espagnols ont un verbe pour ça, “rumanear”, littéralement “faire le Roumain”.
Je reviens bredouille, mais j’ai gagné leur confiance. Cédric prend le relai, je lui conseille d’utiliser le bouquet de fleurs pour amadouer les automobilistes. Cinq minutes plus tard, il est de retour avec dix litres d’essence, ça suffira pour aujourd’hui. On repart joyeusement en ouvrant quelques bouteilles de bière. Un obscur responsable marketing a décidé d’inscrire des noms de ville au dos de chaque bouteille, moi je tombe sur Anglet.
Deux nouveaux venus nous attendent au camp. Maël est la personne la plus intéressante que je rencontrerai à la ZAD. Il a quatorze ans, est en troisième professionnelle et souhaite devenir agriculteur. Il est contre la propriété privée et souhaite venir vivre ici plus tard. Alors il a profité des vacances scolaires pour passer une semaine ici, et se faire son opinion. Il a déjà circulé dans tous les collectifs en compagnie de sa mère, qui l’accompagne. Il vient d’arriver à Chat-Teigne mais n’aime pas trop le camp, et n’hésite pas à le dire à la cantonade. Trop punk à chien, trop sale, trop cliché. Plus tard, lui ne voudra pas du RSA, il ne souhaite pas que des gens travaillent à sa place, il veut juste viser une autonomie alimentaire et vendre son surplus pour payer ses charges.
On allume le feu de camp pour préparer le repas du soir, d’autres zadistes nous rejoignent après avoir passé toute la journée à Nantes. Ils semblent tendus, des affrontements ont émaillé les manifestations. Quelques bières et le festin que nous avons préparé parviennent cependant à ramener calme et bonne humeur dans le camp.
Après le repas chacun regagne sa cabane, nous allons nous réchauffer avant la nuit auprès du poêle qu’a construit Cédric. Je demande à Maël s’il serait d’accord pour me faire visiter le reste de la ZAD le lendemain, ou en tout cas pour me montrer les endroits qu’il a préférés. Il demande d’abord l’autorisation à sa mère, puis me dit qu’il le fera avec plaisir après avoir terminé ses devoirs d’anglais.
Le lendemain je suis réveillé par une violente secousse. Non, ce n’est pas une réplique du tremblement de terre qui a ébranlé La Rochelle hier, mais bien un coït matinal qui se trame à quelques mètres de moi. Les limites de la vie en communauté…
Après un petit-déjeuner sommaire et les devoirs d’anglais, nous partons comme prévu avec Maël à la découverte du camp. Nous passons tout d’abord devant le Non-Marché. Là, tous les lundis et tous les vendredis, la production agricole de la ZAD est vendue à prix libre : chacun peut se servir en mettant – ou non – quelques pièces en échange.
Ensuite nous allons à la rencontre de deux autres collectifs. Ça jardine, ça discute politique. Tout ce petit monde est farouchement utopique, mais a une vraie réflexion sur notre société de consommation. Je n’ai pas forcément le temps d’approfondir et de me lancer dans de grands débats, car je dois bientôt repartir. Mais je sens des gens ouverts, tolérants et cultivés. C’est ce que je cherchais en venant ici, et je l’ai trouvé grâce à un gamin de quatorze ans.