Jour 59 – Balade en Haute-Normandie

Me voici donc à la moitié du chemin : cela fait désormais trois mois que je suis parti de Bayonne pour découvrir la France. Mes prochaines étapes guideront mes pas vers l’Île-de-France, puis la Bretagne. En attendant, je suis en Normandie depuis quelques jours. Le temps n’est pas au beau fixe, et j’ai un peu de mal à tomber sur de nouveaux sujets pour mes vidéos.

Malgré cela, globalement, je crois que je suis en train de trouver ce que j’étais parti chercher. Les gens qui m’ouvrent leur porte sont tolérants, ouverts, optimistes. Je parviens parfois à établir une connexion entre certaines de ces personnes grâce à ma chaîne de cadeaux. Mais l’autre jour, à Fresnay-le-Long, Bertrand s’est gentiment foutu de moi quand je lui ai dit que je cherchais à créer du lien. “Créer du lien, donner du sens, c’est des mots à la mode, ça”.

Comme cadeau pour la prochaine personne qui m’accueillerait, il a donné un petit échantillon de sa production : des pommes de terre bio, une bouteille de cidre fermier, de la confiture de cassis et du lin. Ces cadeaux sont donc arrivés à Rouen, dans les mains de Sophie et Thomas. Sophie, elle était avec moi en classe prépa. Voilà quinze ans que je ne l’avais pas vue ; elle m’a spontanément proposé de venir la voir lorsque j’ai démarré mon projet. Ce que je ne savais pas, c’est que Sophie travaille dans une association qui valorise la production agricole normande. Elle met en relation exploitations et entreprises, notamment dans le domaine… du lin. C’est promis, elle contactera prochainement Agnès et Bertrand pour essayer d’éviter que leur production ne parte en Chine. Depuis, Bertrand m’a envoyé un message pour reconnaître que créer du lien, ce n’était pas qu’une expression de journaleux.

Ensuite, c’est Benoît qui m’a accueilli, toujours à Rouen, et qui a reçu les présent de Sophie et Thomas : un assortiment de conserves qu’ils ont élaboré lors de récentes vacances en Dordogne. Benoît me réserve un accueil chaleureux : mon projet lui rappelle un voyage récent lors duquel il a relié Jérusalem à pied, dormant chaque soir chez des inconnus (il offrira d’ailleurs, pour les suivants, une bougie du Mémorial). Le lendemain, cap sur Étretat et ses falaises. Je choisis le chemin le plus court en coupant par un joli golf, pour arriver au dessus de l’Aiguille Creuse qui inspira Maurice Leblanc. La vue est superbe et vertigineuse. J’attendrai la tombée de la nuit de l’autre côté du village aux toits d’ardoise. Une petite chapelle y surplombe la plage.

Puis c’est Mimi, Charles et leur adorable petite Jade qui m’ouvrent leur porte à Grainville-la-Teinturière. Une raclette en guise de bienvenue et une dégustation des alcools du cru rendent la soirée très agréable. Ils me conseillent d’aller jeter un œil à l’église d’Yvetot, remarquable par son plan circulaire et sa couleur rose bonbon. Elle possède en outre un fabuleux vitrail de plus de 1000 mètres carrés, le plus grand d’Europe. J’aime bien les églises nouvelles et leur architecture audacieuse. Mais le lendemain, c’est tout le contraire que je vais découvrir : Kévin tient à me montrer le chêne d’Allouville, un arbre centenaire dans lequel est creusé une minuscule chapelle. L’endroit est un cauchemar pour les photographes : rien n’y est droit, et des câbles maintiennent les branches de tous côtés. Mais le lieu est insolite, à tel point qu’un film avec Jean Lefebvre et Bernard Menez porte son nom. La balade me permet de digérer les bières de la veille : Kévin habite au-dessus de son bar, et la soirée avait fini en concours de fléchettes improvisé et arrosé.

Pas de vidéo pour retracer cette période, donc, mais quelques photos illustrant ma balade normande.

Jour 47 – Introduction à la biodynamie

Mercredi dernier, à Colmar. J’attends sagement Maëva, mon hôtesse du jour, dans un pub irlandais de la Grand-Rue. Elle doit rentrer un peu tard d’un déplacement professionnel. Un garçon tout juste sorti de l’adolescence m’offre une bière ; il vient de débuter sa carrière de gendarme, dans la vallée du Munster. Il a un peu trop bu et décline sa profession à qui veut bien l’entendre. Des types du bar le regardent d’un œil patibulaire. Maëva arrive à point nommé avant que la situation ne s’envenime.

Maëva, son truc, c’est la biodynamie. Elle travaille depuis quelques mois pour Demeter, une association chargée de certifier les agriculteurs travaillant sous ce label. Avant cela, elle s’est beaucoup cherchée : après des études d’ingénieur agronome classiques, elle n’avait appris que des méthodes d’agriculture conventionnelle, dopée aux pesticides. Elle n’arrive pas à faire semblant, à trouver sa place dans un système auquel elle ne croit pas. Alors elle plaque tout pour un voyage en Inde. Durant un mois et demi, là-bas, elle a travaillé dans une ferme internationale, et a appris des techniques alternatives. En rentrant, elle a une idée précise du chemin à suivre : elle rejoint Terre et Humanisme, le mouvement créé par Pierre Rabhi, puis postule finalement chez Demeter.

Devant quelques tisanes relevées de miel de sapin, elle va m’expliquer avec passion les bases de ce courant de pensée créé par Rudolf Steiner, un philosophe autrichien fondateur de l’anthroposophie. Ce n’est pas la première fois que j’entends ces termes, depuis le début de mon voyage. Luc notamment, dans le Gers, m’avait dit utiliser certaines techniques issues de la biodynamie. Au début, il n’y croyait pas, et avait essayé “pour voir” : réaliser un vortex en brassant durant une heure une préparation à base d’insectes morts, cela ne pouvait pas le débarrasser des nuisibles. Et pourtant, contre toute attente, cela a fonctionné. Alors, depuis, il continue.

Maëva m’énumèrera d’autres techniques du genre, à la limite de l’ésotérisme. Les résultats sont là : les légumes certifiés par Demeter sont plus bio que bio. Aucun produit chimique n’intervient durant leur cycle de vie. Le lendemain midi, elle me propose une démonstration concrète en m’emmenant au marché couvert de Colmar. Un stand est dédié à la biodynamie ; les fruits et les légumes y sont en effet magnifiques, et délicieux.

Nous pousserons la balade dans Colmar, qui m’a enchanté avec ses canaux et ses maisons à colombages. Ce jour-là il y fait très froid, le thermomètre passe régulièrement en-dessous de -5°C. En sortant de la ville pour partir vers les Vosges, le panorama est surréaliste avec ses vignes gelées et ses arbres enneigés.

Jour 43 – Les toits de Beaune

Jeudi matin je me réveille chez Muriel, à Corcelles-les-Arts. Nous nous délectons pour le petit-déjeuner du cadeau de Cyrille : il a préparé une grosse douzaine de crêpes pour mon hôtesse du jour.

La veille Muriel avait cuisiné un repas exquis, arrosé d’un excellent Beaujolais. Elle connaît à la perfection les vignes de la région et les faisait visiter aux voyageurs avant un accident de santé, l’hiver dernier. Il y a quelque chose de touchant dans l’accueil de Muriel : elle a revêtu une jolie parure de bijoux, passé une bonne partie de l’après-midi à cuisiner pour moi. Elle m’avoue que depuis ses soucis de santé elle n’avait encore reçu personne ici.

L’après-midi, après un arrêt à Meursault – célèbre pour avoir accueilli le tournage de la Grande Vadrouille – elle me propose une visite de Beaune. L’endroit est truffée de caves à vin et de restaurants étoilés. Une statue de Bruno Catalano, l’un de mes artistes contemporains favoris, trône sur l’une des places principales. Mais ce sont ses toits qui me surprennent. Des motifs bariolés composés de tuiles vernissées constellent le ciel de la ville. L’édifice le plus remarquable est sans conteste l’Hôtel-Dieu. Une vente aux enchères se tient ici chaque année. Des bouteilles de prestige, produites sur les terres des hospices de Beaune, y sont achetées à prix d’or par de riches amateurs. Le bénéfice permet de faire tourner l’hôpital de la ville, ainsi que deux structures pour personnes âgées.